Jouer avec le feu

F Watchlist

«Un fantôme parcourt l’Europe». Ce n'est plus, comme au temps de Marx et Engels, le fantôme du communisme, mais celui de l’extrême-droite. Comment expliquer la popularité de cette idéologie, ennemie intime de la démocratie? C’est à cette question que se confrontent les sœurs Delphine et Muriel Colin dans leur troisième long-métrage, Jouer avec le feu. Dans une petite ville de Lorraine, Pierre, cheminot, voit l’un de ses deux fils, Félix, se rapprocher progressivement d’un groupuscule d’extrême-droite jusqu’à commettre un méfait irréparable. Les sœurs Colin font de ce drame familial le révélateur d’un basculement qui s’est opéré à l’échelle d’une classe sociale: aux ouvriers syndiqués d’hier ont succédé les travailleurs précaires d’aujourd’hui, moins rouges que bruns. Mais au lieu de se pencher sur les raisons permettant d’expliquer la conversion de Félix aux idées de l’extrême-droite, le film se concentre sur le personnage du père (Vincent Lindon, admirable), aussi impuissant que le spectateur de cinéma dans son siège à corriger la trajectoire de son fils. À ce titre, Jouer avec le feu relève plus du drame post-œdipien – la mère de Félix étant morte, il ne lui reste plus qu’à tuer son père – que du brûlot politique. À quelques reprises, on entend en arrière-fond sonore des extraits d’émission de radio témoignant de la montée en puissance des idées de l’extrême-droite. C’est ce bruit de fond qu’il aurait fallu traiter pour signer un véritable film politique. Pour le reste, il s’agit de cinéma d’acteur agrémenté de quelques fulgurances de mise en scène. Ainsi, la soirée au cours de laquelle Pierre apprend à Félix à danser, alors qu’un mur de silence sépare déjà le père du fils, est filmée avec une retenue qui la rend d’autant plus émouvante.